« Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises » , acte I, scène 2 du Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux. « Galants » est ici utilisé dans le sens de « raffinés ». La phrase célèbre deviendra souvent : « Ah qu’en termes choisis ces choses là sont dites ». Molière, dans sa fameuse pièce, critique audacieusement la Cour, ses mœurs et l’hypocrisie qui y règne.
Trois siècles et demi plus tard, Molière pourrait commenter … la situation calédonienne, et le comportement de ses gouvernants ! C’est en tout cas « en termes choisis » que les opposants aux exportations de latérites, aux tenants de la prise de majorité au capital de la SLN et aux défenseurs de la « doctrine nickel » de la Province nord s’expriment ces temps-ci. Après la publication du rapport Colin sur le nickel … et la prise de position unanime des signataires et présidents à Paris. Du grand Molière.
LA PART DES CHOSES ENTRE LE RAPPORT COLIN ET LES DECISIONS DU GTPS
Il n’y avait qu’à écouter Victor Tutugoro, vendredi soir à la télé, disserter sur l’accommodement de l’intransigeante « doctrine nickel » avec … tout son contraire issu de rapport Colin et le communiqué final du GTPS consacré au nickel à Paris ! Qui oserait imaginer qu’il y a encore quelques semaines, il tenait conférence pour affirmer son opposition à ce qui a été adopté à Paris. Les explications du Président de la Province sud n’étaient ni plus claires, ni plus convaincantes, d’ailleurs.
Mais plutôt que de sourire, mieux vaut se réjouir.
Il faut toutefois faire la part des choses entre le rapport Colin, et les résolutions prises à Paris sur les exportations nickel et le sauvetage de la SLN.
En effet, le rapport Colin concerne essentiellement la gouvernance calédonienne du nickel, et sa projection sur « l’après nickel ». Mais il est vrai qu’ « en termes choisis », il démolit « le modèle de gouvernance actuel de l’économie du nickel » dont il démontre qu’il est « dépassé ».
Au cours des 17 pages de constats et d’analyses, on y trouve des propositions qu’il sera difficile d’occulter lors des débats futurs sur le nickel. Elles ont trait essentiellement à la gouvernance nickel, à tous les niveaux d’activité : calcul des réserves, extraction, exportation, approvisionnement des usines locales, installation des usines métallurgiques, et gouvernance de l’après-nickel.
DOCTRINE NICKEL ET MAJORITE DES COLLECTIVITES DANS LES ENTREPRISES INDUSTRIELLES DU NICKEL
En particulier, il démontre, toujours en « termes choisis », l’absurdité pour les collectivités locales de vouloir « monter au capital » des sociétés métallurgiques. Mais pour autant, analysant les raisons d’une telle volonté, il propose une solution alternative avec la « redevance/contribution nickel », « l’action stratégique » et le poste de censeur dans les conseils d’administration.
Autre analyse douloureuse : celle de l’usine « off shore » dont l’approvisionnement est classé clairement au titre des exportations de nickel, et dont la valeur ajoutée pour la Calédonie est démontrée discutable.
De la même manière, il aborde de manière plus rationnelle la mise sur pied d’un Fonds Souverain pour les générations futures et dresse le contour d’une discussion d’avenir pour l’économie calédonienne.
Exercice salutaire, dans lequel l’Etat a mis tout son poids pour qu’il soit présenté à Paris, dans une séquence qui ressemble fort à un « coup de sifflet de fin de récréation ».
En revanche, pour ce qui concerne le « plan d’urgence des exportations » aussi bien que de la résolution sur le « sauvetage » de la SLN, ces questions résultent des réflexions du GTPS. Il n’empêche que, conjuguées au contenu très dense du rapport Colin, elles prennent à contre-pied, et la « doctrine nickel » de la Province nord, et le positionnement de Calédonie Ensemble traduit par les décisions, à la majorité, du gouvernement local.
PASSER A L’ACTE A NOUMEA
Mais le plus dur reste à faire. Revenus dans la marmite à pression du contexte calédonien, les interlocuteurs de Paris vont devoir « passer à l’acte ». Et c’est là que le public peut s’attendre, peut être, à une représentation digne de Molière …
Pour autant, tant mieux si le réalisme prévaut sur l’idéologie, et tant mieux pour l’économie et les milliers d’emplois qui sont en jeu.
D’autant que la crise n’est pas pour autant écartée par cet étonnant consensus. La bourse en pré-panique, le cours du nickel au plus bas, l’avenir industriel des trois opérateurs locaux en jeu, les exportations de latérites menacées, tout cela vient s’ajouter aux effets indirects négatifs qui touchent le commerce et les services en Nouvelle-Calédonie.
De nouveaux défis, en 2016, pour les décideurs et l’Etat qui est spectaculairement revenu dans l’arène.