Le contexte : l’Éveil Océanien dépose un projet de réforme du financement du Ruamm qui impacte l’ensemble des cotisants, mais surtout, les travailleurs indépendants. En mars, une levée de boucliers et un blocage général organisé par le collectif Agissons Solidaires regroupant les chambres consulaires et des syndicats, dont celui des rouleurs et du BTP, conduit au report du texte et à la création d’une commission spéciale élus-société civile pour mettre au point des mesures de redressement du régime, de manière consensuelle. Les conclusions de la commission spéciale doivent être déposée au plus tard le 31 décembre de cette année.
Le coup de force : alors que les discussions se poursuivent au sein de la commission spéciale, le gouvernement demande une séance extraordinaire d’urgence sur le texte initial de l’Éveil Océanien. Le Congrès doit donc se saisir du texte ce mercredi après midi. Agissons Solidaires annonce en conséquence la mobilisation de ses troupes si le texte n’est pas retiré de l’ordre du jour. A l’issue d’une rencontre entre Agissons Solidaires, l’Éveil Océanien, les groupes UC-FLNKS et Uni au Congrès, un accord est trouvé. Il repose sur des modifications du texte en toute dernière minute. Il est prévu que des amendements soient déposés par l’Éveil Océanien.
Séance mercredi et la motion préjudicielle de Calédonie Ensemble : en début de séance, Philippe Gomes demande la parole pour défendre une motion préjudicielle qu’il soumet au Congrès. Cette motion vise à renvoyer l’examen du texte pour étude devant les commissions ad hoc. Philippe Gomes dénonce la méthode, qui vient en contradiction avec le processus défini lors de l’établissement de la commission spéciale. Pour lui, les auteurs ont choisi la tractation en catimini, dans le dos des institutions. Il s’étonne de l’absence du gouvernement dans le cheminement de ce dossier, et de la mise à l’écart des autres groupes du Congrès. Il dénonce la précipitation affichée, avec des amendements qui n’ont été, ni discutés, ni soumis à la commission spéciale. Il pointe du doigt l’absence de toute étude d’impact sérieuse sur des mesures touchant un régime essentiel de solidarité calédonienne. Tout cela, estime-t-il, s’est fait hors des principes de consensus et de collégialité. Ne vous étonnez pas, tance-t-il, si cette méthode à laquelle vous nous soumettez ne soit, un jour, appliquée à vos dépends.
Dans les réponses, Jean-Pierre Djaiwe , pour l’Uni, rappelle que le dossier du déficit du Ruamm est ancien, qu’il n’a pas été traité, et qu’il faut maintenant agir. M. Tukumuli rappelle la genèse de tout ce dossier, estimant qu’il ne s’agit plus du projet de l’Éveil Océanien, mais d’un projet partagé. Il souligne les exigences de l’État en matière de redressement des comptes.
La motion préjudicielle est rejetée par 28 voix contre 26.
Discussion générale et l’État n’a exigé qu’une mesure de réforme du Ruamm : le Congrès passe à la discussion générale sur le texte, avant de l’examiner article par article. Chaque camp défend son point de vue. Sonia Backes, cependant, évoque l’argument selon lequel les services de l’État feraient pression pour que gouvernement et Congrès adoptent dans l’urgence toutes ces mesures. « Faux », indique-t-elle en faisant référence à une information officielle. En l’espèce, s’agissant du Ruamm, l’État a demandé qu’au minimum, une mesure significative de redressement du régime soit adoptée cette année. Pas moins, mais pas plus.
Un débat reporté à cet après-midi : après de nombreux échanges, et plusieurs suspensions de séance, dont la dernière longue de près de trois heures, la discussion du texte et des amendements a été reportée à cet après midi.
LES ENSEIGNEMENTS DE CE PREMIER ROUND
Ce premier round de discussions et d’oppositions a mis en lumière une gouvernance erratique de la Nouvelle-Calédonie. Un texte d’une telle importance devrait être porté et défendu, d’abord par le gouvernement. C’est son rôle dans tout pays démocratique. Or, l’Exécutif paraît hors jeu, ne fait même pas connaître son avis, et cède la place à l’action des partis dans l’assemblée législative locale. Ainsi que l’a illustré Philippe Gomes, pourrait-on imaginer que sur la réforme des retraites, en métropole, le gouvernent Borne se dessaisisse du dossier … et laisse les groupes politiques de l’Assemblée Nationale le traiter ?!
Second constat : l’amateurisme d’une démarche précipitée. Improvisation de procédure, court-circuitage des commission ad hoc ou spécialisée, amendement majeurs quasiment déposés en séance, absence d’étude d’impact sur un sujet qui touche l’ensemble de l’économie calédonienne, la réforme du Ruamm telle qu’entreprise par un coup de force concentre à la fois fébrilité et amateurisme.
Troisième constat : cette réforme sera probablement adoptée par une majorité idéologique. On peut attribuer à la démarche entreprise à l’initiative de l’Éveil Océanien quelques points positifs, parmi lesquels, celui de faire bouger les lignes sur un dossier marqué par une longue procrastination de tous les responsables politiques. Mais la méthode, sa résurgence mercredi après une pause de quelques mois, démontre le poids de l’idéologie : le sentiment d’avoir raison contre tous et de ne prendre en considération que quelques contraintes nées de rapports de force défavorables. Cette méthode exclue la concertation, et les études approfondies qui pourraient bousculer la doxa idéologique.