Cette série d’interviews met en lumière des personnalités influentes qui partagent leur vision sur des thèmes clés de l’actualité calédonienne. Aujourd’hui, nous rencontrons Patrick Dupont, directeur général de i2f Nouvelle-Calédonie, associé-gérant du cabinet de conseil Auclair Dupont, et représentant du MEDEF au Conseil d’Administration de la CAFAT.
Nouméa Post : Pensez-vous que la Nouvelle-Calédonie va réussir à se sortir de cette crise majeure ?
Patrick Dupont : Je n’ai pas la réponse. Nous sommes dans une situation qui risque de s’aggraver encore davantage par rapport à 2024. Tout dépend des actions qui seront menées, mais surtout de la capacité à résoudre les problèmes politiques, car c’est là que tout commence. Actuellement, on n’a aucun signe encourageant, aucun indicateur qui montre que nous sommes sur le chemin d’une sortie de crise. La crise que nous vivons est sans précédent, sa complexité et son ampleur sont inédites car elle conjugue des problèmes politiques, économiques et sociaux sur une très grande échelle.
NP : Selon vous, quelles sont les réformes les plus urgentes à mettre en place ?
PD : Il faut adapter les dépenses publiques aux moyens dont nous disposons aujourd’hui. Mais avant toute chose, aucune réforme ne sera efficace si nous n’avons pas un accord politique clair et une sécurité totale sur le territoire. Certes, la sécurité s’est améliorée depuis les émeutes, mais il reste des zones problématiques comme le Mont-Dore Sud, où les incidents sont fréquents. Ces insécurités ont des conséquences graves, par exemple la fermeture d’entreprises comme La Biscuitière, ou encore les sites miniers qui sont toujours à l’arrêt, notamment à Thio ou Nakéty. Sur le plan des dépenses, il faut réorganiser complètement le fonctionnement des institutions et réduire les dépenses de 20 à 30 %, y compris les dépenses salariales. La même logique doit s’appliquer à la protection sociale : il faut revoir la carte sanitaire, réorganiser les hôpitaux et les dispensaires, et utiliser des outils comme la télémédecine. Nous n’avons pas le choix : il faut adapter nos structures à la réalité de nos moyens financiers et humains.
NP : Que faudrait-il changer dans le système fiscal calédonien ?
PD : Le problème principal de notre système fiscal, c’est qu’il est trop complexe. Nous avons un nombre invraisemblable de taxes, certaines ne rapportant presque rien. Il faut simplifier et recentrer les prélèvements sur trois grandes fonctions :
- Le fonctionnement des collectivités, financé par la TGC et des impôts tels que l’impôt sur les sociétés.
- La redistribution (solidarité), qui inclut l’ensemble des aides sociales (famille, logement, handicap, retraite minimum…), financée par la CCS et l’IRPP. Le plus simple et le plus efficient serait une CCS progressive (comme en Polynésie).
- La protection sociale, incluant le RUAMM, les régimes de retraite et le chômage, financée majoritairement par les cotisations sociales et les taxes comportementales (alcool, tabac, sucre).
Il faut une affectation claire des recettes fiscales, pour que chaque impôt ait un objectif précis. Cela permettra également d’améliorer l’acceptabilité globale des taxes.
NP : Comment attirer de nouveaux investisseurs après les émeutes de 2024 ?
PD : Il faut d’abord arrêter de rêver à l’arrivée d’investisseurs extérieurs. Nous avons déjà sur place des groupes locaux, des filiales de grandes entreprises, et des chefs d’entreprise capables d’investir et si nécessaire d’amener leurs propres partenaires. Ce sont eux qu’il faut soutenir, en leur offrant un environnement clair, stable et sécurisé. Pour cela, il est aussi essentiel que les collectivités cessent d’intervenir directement dans l’économie. Leur rôle doit être de créer cet environnement clair, stable et sécurisé, de réguler, et de contrôler, pas de devenir actionnaires majoritaires dans des projets économiques. Les SEM (sociétés d’économie mixte) doivent limiter leur intervention à des participations minoritaires et temporaires, comme cela se fait dans d’autres pays. Quand les collectivités deviennent à la fois régulatrices et actionnaires, elles créent des conflits d’intérêts qui découragent les investisseurs et créent parfois de la concurrence déloyale. Si on met en place un cadre légal stable et transparent, les opportunités locales attireront naturellement les investissements nécessaires. Mais tout commence par la stabilité et la sécurité.
NP : Quels secteurs économiques vous semblent les plus prometteurs pour relancer la croissance ?
PD : En premier, le nickel. Cette filière reste un pilier incontournable : si elle disparaît, la Nouvelle-Calédonie n’aura pas les moyens de rebondir. Ensuite, rappelons que la sécurité alimentaire est un enjeu fondamental pour le territoire. De ce fait, nous devons impérativement développer des filières agricoles et d’élevage solides pour garantir notre autonomie alimentaire. Cela passe par des politiques à la fois incitatives et parfois contraignantes. Par exemple, il faut encourager, voire obliger, ceux qui possèdent des terres, y compris coutumières, à les mettre en exploitation (via des systèmes de location des terres). Le tourisme reste un autre secteur prometteur, mais il doit être repensé : il ne s’agit pas de multiplier les infrastructures à tout prix, mais de choisir des sites d’exception et de travailler avec des professionnels pour garantir des standards élevés. Enfin, nous devons valoriser nos ressources naturelles, comme la pêche et les plantes endémiques. Cela pourrait ouvrir des opportunités dans des secteurs comme la pharmacologie, à condition de mettre en place un cadre légal clair pour protéger les intérêts calédoniens. Ces secteurs, bien encadrés et soutenus par une politique cohérente, peuvent être des moteurs de croissance pour notre économie.
Kim Jandot