Dans les couloirs d’un EHPAD, la vie suit son cours. Entre soins médicaux, écoute bienveillante et moments de partage, les journées s’enchaînent, mais ne se ressemblent jamais.
Lorsque l’on demande à Sandra pourquoi elle a choisi ce métier, sa réponse est immédiate : « Parce qu’ici, on soigne autant avec les gestes qu’avec les mots ». Travailler en EHPAD, ce n’est pas seulement administrer des traitements ou surveiller des constantes. C’est être un repère pour les résidents, qui voient en leur infirmière bien plus qu’une soignante : une confidente, une présence rassurante dans un univers qui peut parfois leur sembler étranger. « Ce que les résidents expriment souvent, c’est le soulagement, confie Sandra. Soulagement de ne plus être seuls, de voir du monde tous les jours, d’avoir quelqu’un qui veille sur eux ». La solitude est en effet l’un des fléaux du grand âge. Selon une étude de la Fondation de France, près d’un quart des seniors souffrent d’isolement social. L’entrée en EHPAD, si elle est parfois redoutée, devient alors une bouée de sauvetage. « Un résident m’a dit un jour : « Ici, c’est devenu ma famille ». Et c’est vrai. Nous passons tellement de temps ensemble que des liens forts se créent », souligne l’infirmière.
Mais encore faut-il qu’une place soit disponible…
Dans beaucoup de pays, le vieillissement de la population s’accompagne de certains défis, notamment en matière de ressources humaines et financières. Et la Nouvelle-Calédonie n’y échappe pas. La demande augmente, tandis que l’offre diminue. En cause, une pénurie de soignants et un manque de financement du secteur. « Les demandes des familles sont de plus en plus nombreuses, mais nous ne pouvons pas pousser les murs, nous sommes limités, explique Maryse, directrice d’une maison de retraite. Sans parler de l’enjeu du financement : ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de financer un hébergement ». Et si des aides sociales existent, elles ne sont pas toujours suffisantes, ni adaptées au projet de la personne âgée.
Accompagner la vieillesse :
entre soin et dignité
Le vieillissement s’accompagne parfois de pertes progressives d’autonomie, de mémoire ou de mobilité. En EHPAD, la grande majorité des résidents souffrent de troubles cognitifs, allant d’une légère confusion à des pathologies lourdes comme Alzheimer. « Quand on accueille un nouveau résident, on évalue son niveau d’autonomie et on adapte l’accompagnement en conséquence, explique Sandra. Certains sont encore très indépendants, d’autres ont besoin d’une aide pour la toilette, l’alimentation ou la mobilité par exemple. Notre rôle est de les assister tout en respectant leur volonté ». Ce respect est au cœur des préoccupations du personnel soignant. Comment accompagner sans infantiliser ? Comment aider sans priver de choix ? « Tout est une question de posture et de communication, répond Sandra. On explique et on respecte le rythme de chacun. Ce n’est jamais un rapport de force, toujours un dialogue ».
Vivre pleinement, jusqu’au bout
Contrairement aux idées reçues, la vie en EHPAD ne se résume pas aux soins médicaux. Des projets de vie sont mis en place pour chaque résident, en fonction de ses envies et de ses capacités. « Nous sommes en train d’organiser un voyage à l’Île des Pins pour un résident qui n’y est pas retourné depuis des années, raconte Sandra. C’est un ancien pêcheur, alors nous avons commencé par une sortie à l’aquarium, puis une collecte de fonds pour financer le voyage ». D’autres projets, plus simples mais tout aussi significatifs, rythment le quotidien des résidents, comme pour ce passionné de football qui a pu assister à un match. « Ce sont de petites choses, mais elles changent tout », souligne l’infirmière. Même l’amour a sa place en résidence ! « Un couple s’est formé à la Saint-Valentin, confie Sandra en souriant. Il lui a offert des fleurs et ils ont partagé un dîner… »
Un travail émotionnellement intense
Si le métier est riche humainement, il est aussi exigeant et parfois difficile, puisqu’il arrive que des résidents arrivent à la fin de leur vie. « On ne s’habitue jamais vraiment, nous dit Sandra. Chaque perte est une épreuve. Mais on sait qu’on a fait tout ce qu’on pouvait pour qu’ils partent entourés et apaisés ». Pendant la crise du Covid-19, la situation a été particulièrement éprouvante. En métropole, certains EHPAD ont perdu jusqu’à 20 % de leurs résidents en une semaine. Ici, la situation a été plus contenue, mais l’angoisse était omniprésente. « Les familles ne pouvaient plus venir, les résidents ne comprenaient pas toujours pourquoi. Nous étions leur seul lien avec l’extérieur », se rappelle Sandra. L’accompagnement ne concerne pas seulement les résidents, mais aussi leurs proches. L’entrée en EHPAD est souvent vécue avec culpabilité. « Voir son parent perdre en autonomie, ne plus pouvoir le gérer à domicile, c’est une souffrance, souligne Sandra. Nous sommes là aussi pour soutenir les familles, leur montrer qu’elles ont fait le bon choix, que leur proche est bien entouré ».
Quel avenir pour la prise en charge des personnes âgées ?
Sandra l’affirme : l’EHPAD classique n’est pas la seule solution. Elle s’intéresse notamment aux « EHPAD hors les murs », un modèle où les services d’un EHPAD sont déployés à domicile, avec une meilleure coordination entre soignants. Un projet est actuellement en cours pour développer l’EHPAD hors les murs en Nouvelle-Calédonie. « Aujourd’hui, rester chez soi est souvent synonyme de désorganisation, admet Sandra. Infirmières, kinés et médecins interviennent sans réel lien entre eux. Un EHPAD hors les murs permettrait de structurer cette prise en charge, tout en respectant le souhait des personnes âgées de vieillir à domicile ». D’autres alternatives, comme les résidences-services, se développent en France. « Ce sont des appartements adaptés avec des services à la carte : restauration, aide à domicile, animations. Cela permet aux seniors autonomes de vivre dans un environnement sécurisé sans perdre leur indépendance », explique Sandra.
En Nouvelle-Calédonie, ces solutions restent encore rares. En cause, sans surprise, un manque de financement et de ressources humaines. « Nous manquons déjà de personnel en établissement, comment pourrions-nous déployer des équipes à domicile avec les moyens actuels ? », questionne Maryse. « Nous devons repenser la prise en charge du vieillissement, conclut Sandra. Le défi est immense, mais l’objectif est clair : permettre à chacun de vieillir dans la dignité ».
Prendre soin, accompagner, donner du sens à chaque jour. Pas de doute, c’est une véritable mission de vie que Maryse, Sandra et leurs collègues remplissent au quotidien. Dans un monde où le vieillissement de la population est un enjeu majeur, leur travail est plus essentiel que jamais.
Kim Jandot
