Océans : une compétition vertueuse pour la plus grande réserve marine du monde dans le Pacifique
Lors du sommet France–Pacifique, organisé à Nice en marge de la Conférence des Nations Unies sur les océans, un vent nouveau a soufflé sur la gouvernance environnementale du Pacifique. En quelques heures, plusieurs territoires insulaires ont tour à tour dévoilé des projets colossaux de création de réserves marines, dans ce qui pourrait ressembler à une course… pour mieux protéger. Une compétition certes, mais d’un genre singulièrement vertueux : celle de savoir qui créera la plus vaste aire marine protégée du monde.
L’ANNONCE DE LA POLYNÉSIE
La première salve est venue de la Polynésie française. Son président, Moetai Brotherson, a solennellement déclaré que son gouvernement s’engageait à créer « la plus grande réserve marine protégée de la planète », en intégrant non seulement ses gigantesques lagons, mais aussi la totalité de sa zone économique exclusive, qui couvre près de 5 millions de kilomètres carrés. Une ambition à la mesure du territoire, dont la surface maritime équivaut à celle de l’Union européenne.
LA SURENCHÈRE DE VANUATU ET SALOMON
Mais à peine cette annonce prononcée que d’autres voix pacifiques se sont élevées, rapportées par le Salomon Islands Broadcasting Corporation. Les gouvernements des Îles Salomon et du Vanuatu ont annoncé leur intention de créer la Réserve océanique mélanésienne pour protéger les eaux ancestrales, les patries et les habitants du Pacifique sud-ouest. La région est l’une des régions marines les plus biodiverses au monde. (Photo ci-dessus/SIBC)
UNE GIGANTESQUE MEGA-RÉSERVE
La réserve océanique mélanésienne sera la première réserve océanique multinationale dirigée par des indigènes sur Terre. Une fois terminé, il couvrira au moins 6 millions de kilomètres carrés d’océan et d’îles, une zone aussi vaste que la forêt amazonienne. Une méga-réserve transfrontalière incluant les eaux des Salomon et du Vanuatu, à laquelle pourraient se joindre celles de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ainsi qu’un corridor écologique avec le parc marin de la mer de Corail, au large de la Nouvelle-Calédonie. Une sorte d’archipel de réserves, interconnectées et coordonnées, pour constituer un sanctuaire marin d’une ampleur inédite.
UN CHANGEMENT D’ÉCHELLE COMME UN CONCOURS DE GRANDEUR
Ce télescopage d’annonces n’a rien d’anodin. Il illustre un changement d’échelle dans la manière dont les États et territoires du Pacifique conçoivent la préservation de leurs ressources marines. Longtemps contraints par des enjeux de développement, aujourd’hui confrontés de plein fouet aux effets du changement climatique, ils embrassent désormais un rôle de pionniers dans la gouvernance océanique mondiale. Mais ils le font aussi, et c’est nouveau, en mettant en scène leur ambition environnementale.
Ce « concours de grandeur » écologique n’est pas sans rappeler les dynamiques géopolitiques plus classiques, mais ici, la surenchère se joue sur le terrain de la protection plutôt que de l’exploitation. Elle est portée par une fierté légitime : celle d’hériter, de protéger et de transmettre des espaces marins parmi les plus riches et les plus fragiles du globe. Récifs coralliens, monts sous-marins, mangroves, espèces endémiques… le Pacifique concentre une biodiversité exceptionnelle qui appelle une vigilance constante.
LA CALÉDONIE ASSOCIÉE
Cette compétition, au fond, dit beaucoup de l’évolution du récit océanique. Elle traduit aussi une volonté de peser davantage dans les négociations internationales : en affirmant leur leadership environnemental, ces États et territoires espèrent capter davantage de financements pour la conservation, renforcer leur souveraineté écologique, mais aussi imposer leurs visions, souvent ancrées dans les traditions et les savoirs autochtones.

Il y a bien sûr des défis : la gestion effective de ces vastes espaces, le financement pérenne, la surveillance, la coopération entre entités souveraines. Mais en cet instant, à Nice, l’élan était clair : dans le Pacifique, la course au gigantisme n’est plus militaire ni économique — elle est marine, et elle est verte.