Le drame qui vient de coûter la vie à William Bouarat, frappé à mort alors qu’il tentait de protéger une jeune femme proche agressée par son concubin alcoolisé, est davantage qu’un tragique fait divers. Sa personnalité coutumière, en effet, interpelle de manière particulière sur le fléau de l’alcool, lequel alimente bien trop les faits de violence et les drames en Nouvelle-Calédonie, dans toutes les couches de la société. Cette tragédie doit toucher tous les Calédoniens.
Certes, bien des paroles ont été prononcées sur la plaie que représente la consommation excessive de l’alcool. Des centaines de déclarations. Le prononcé de “Grande Cause”. L’action de plusieurs associations. Et même, des limitations de vente, un temps, durant les week-end, aujourd’hui par les contraintes administratives d’exception. Mais rien n’y fait.
Il n’existe pas de statistiques ethniques. D’autre part, quelques idéologues et des historiens rappelleront que l’alcool, sous sa forme actuelle, a été introduit par la colonisation. Ils n’ont pas tort. Mais une fois ces constats faits, quelles actions efficaces ont été entreprises, et notamment dans le monde kanak, à la fois plus fragile, et plus concerné ?
Plus largement, les anciens, eux, s’étaient, avec leurs moyens modestes, saisis de cette préoccupation. Chez les protestants, la “Croix bleue” avait une signification, celle de tempérer sa consommation personnelle d’alcool, ou mieux, de s’en garder. Pour le compte du Territoire, les agents du service “de l’éducation de base”, veillaient, non seulement à inculquer les principes de santé, mais ne manquaient pas de mettre les populations en garde contre les dangers de l’alcool. Qu’en est-il de tout cela aujourd’hui ?
Quant aux partis politiques, ils ont le devoir de dessiner la société dans laquelle nous vivrons demain. Les mouvements qui prétendent représenter, en particulier, “le peuple kanak”, ont une responsabilité singulière. Quel est, selon eux, le devenir de la coutume ? Non pas sous forme de réponse incantatoire, mais par une réflexion réaliste qui constate le recul, voire la disparition, du savoir coutumier.
Pour les enfants, happés par l’école dès leurs premières années parce que le manque d’instruction leur serait un handicap pour la vie, il est fini le temps de longues années pendant lesquelles, l’oncle et les parents leur apprenaient les règles, les repères, les droits et les devoirs que leur conférait la coutume. La pratique des langues maternelles tend à disparaître pour ceux, nés et élevés dans le milieu urbain ou proche des villes. La question de la reconnaissance de l’identité kanak est dépassée. Celle-ci est reconnue. Comment résistera-t-elle ?
Quant à l’alcool, les partis indépendantistes prônent une rupture avec la société calédonienne, telle qu’elle existe aujourd’hui. Alors, dans la société qu’ils imaginent et qu’ils revendiquent, quid de l’alcool, de ses dangers, de ses méfaits ? Si cette triste affaire qui atteint la coutume, et parfois menace même la cohésion sociale, doit inspirer le futur, alors pourquoi attendre pour la traiter ? Les dégâts humains, moraux, sociétaux et matériels que génère le fléau alcool, eux, n’attendent pas. Il est encore temps de généraliser la signature à “la Croix bleue”.