ET MAINTENANT ?
Tout le factuel a été dit sur l’échec des négociations entreprises pendant deux jours et demi à l’hôtel Sheraton de Deva. Manuel Valls, en a longuement donné sa version, dit tout le bien qu’il pensait de sa proposition de souveraineté avec la France, et toutes ses préventions à l’égard du projet de fédéralisme proposé par les Loyalistes et le Rassemblement.
Il y a eu, bien sûr, les réactions immédiates. Les loyalistes et Le Rassemblement ont tenu une conférence de presse au cours de laquelle ils ont durement critiqué la méthode et les propositions de Manuel Valls. Le FLNKS a confirmé que le projet du ministre d’État lui convenait. Calédonie Ensemble a déploré que les négociations n’est pas abouti à un accord sans préciser lequel avait sa préférence. L’Éveil Océanien a redit sa faveur pour une souveraineté avec la France, mais donne satisfecit à Manuel Valls pour avoir réussi à réunir autour d’une table de négociation, l’ensemble des partis politiques calédoniens. Quant à l’Uni, se déclarant déçu, elle fera part de sa réaction ce lundi.
Un sujet de taille a cependant été abordé unilatéralement par le ministre d’État. Il s’agit du renouvellement des assemblées de Province et du Congrès. On pourrait comprendre que ce scrutin pourrait se tenir dès cette année, mais plus probablement en début d’année prochaine. Pour le locataire de la rue Oudinot, l’absence d’accord ne permet pas de modifier le corps électoral. Cela conduit à la tenue d’élections avec le corps électoral existant, c’est-à-dire, gelé …
Immédiatement, et Loyalistes et Rassemblement, ce sont élevés contre cette interprétation. Ils ont annoncé leur détermination à contester un corps électoral non conforme aux juridictions nationales, européennes et internationales, et seulement admis pour la période transitoire de l’Accord de Nouméa, un accord achevé selon le Conseil d’État lui-même.
Une suite au conclave a cependant été annoncée. Le ministre a indiqué qu’il instituait un Comité de Suivi, et que le processus pourrait se poursuivre, en se basant d’abord sur des convergences qu’il a lui-même énumérées. Calédonie Ensemble a laissé entendre, par ailleurs, que le parti pourrait prendre des initiatives.
Mais en attendant, la Nouvelle-Calédonie se retrouve face ses problèmes. Le gouvernement et le Congrès, faut-il le rappeler, exercent les compétences de gestion interne du territoire. Il faudra en particulier revenir à la résolution la crise. Celle-ci est multiforme. Car il n’y a pas de vide institutionnel après l’échec des négociations. Tant que des modifications ne sont pas intervenues, les institutions demeurent ainsi que le fonctionnement des services publics.
On sait, cependant, que l’État, lui-même, confronté à de graves difficultés budgétaires, n’est plus disposé à ouvrir son chéquier, sans que le territoire ne fasse ses propres efforts pour retrouver une situation globalement soutenable.
Ainsi, les élus, devront enfin s’atteler au volumineux dossier des réformes. C’est d’ailleurs une quasi-exigence de l’État pour qu’il accompagne le territoire, une quasi-exigence non pas de Manuel Valls, mais du Premier ministre comme il l’indiquait dans sa lettre de décembre au président du gouvernement, ainsi que de Bercy, dont l’ancien directeur du Trésor occupe désormais le poste de Secrétaire Général de l’Élysée.
De ce point de vue, l’agenda des élus est chargé comme une mule. Sans que l’énumération soir complète, il faut relever 6 dossiers et réformes à mener, que l’État l’exige ou pas, mais tout simplement parce que si tous les Calédoniens n’en sont pas conscients, la Calédonie ne peut plus vivre comme avant, et doit se « serrer la ceinture ». C’est le devoir des élus, un devoir compliqué tant les prochaines élections sont dans toutes les têtes, mais incontournable.
Il faut d’abord rétablir l’équilibre des finances publiques
Cela passe par des économies draconiennes, bien éloignées des rumeurs de réformettes indolores qui circulent. Ces économies ne peuvent éviter des restructurations, des simplifications, de nombreuses suppressions de postes, des mesures touchant aux rémunérations, une revue des dépenses des administrations, des établissements publics et des institutions dont le train de vie, les voitures, les conditions de voyages et le nombre de postes devront être révisées.
Il faudra rétablir l’équilibre des comptes sociaux
Le Ruamm est en souffrance … depuis 2010, et toujours pas de réforme pour restaurer ses comptes. La réforme de la gouvernance des prestations sociales et de la santé, pourtant préconisée depuis 2018, n’est toujours pas sérieusement entamée. La « carte vitale » calédonienne, dont on sait que la mise en place fera économiser des centaines de millions, est toujours dans les cartons. Le régime de retraite est en déséquilibre structurel et court à la catastrophe dès l’année prochaine. Et si des mesures d’économies sont envisagées, il faudra s’attaquer à une réforme prenant en compte l’évolution de la démographie et la situation de l’emploi. Comme occulter l’hypothèse d’un allongement de la durée du travail, et même des efforts des pensionnés ? Et que dire du régime chômage de la Cafat, à partir du mois de juin ?
Le territoire et les provinces sont totalement compétents en matière économique. Il faut restaurer l’économie
Si l’État apporte et doit apporter sa part pour la reconstruction des destructions perpétrées le 13 mai dernier, soit directement, soit en réponse aux multiples contentieux qu’il va affronter avec les compagnies l’assurance, le reste relève des pouvoirs locaux. Christopher Gygès, membre du gouvernement, a mené une négociation avec les partenaires sociaux sur l’orientation de la fiscalité, et des relations sociales. Objectif : construire un environnement plus attractif pour créer de la richesse et de l’emploi notamment pour le monde de l’entreprise. Samuel Hnepeune a courageusement mis sur la table le dossier de la survie d’Aircal, au bord de la cessation d’activité. Il a présenté de grandes ambitions pour les activités portuaires. Ils sont cependant bien seuls, avec la province Sud qui ne cesse de prendre des initiatives pour aider le tissu économique et promouvoir sa relance. Mais où sont la mobilisation des politiques publiques, et leurs réformes pour aller dans le sens du redressement calédonien ?
Le territoire et les provinces sont totalement compétents dans le domaine du nickel. Il faut sauver la filière nickel
Gestion des ressources minières, développement économique, fiscalité, énergie, tous ces domaines ont été transférés à la Nouvelle-Calédonie qui est donc totalement compétente pour ce qui concerne la mine et la métallurgie du nickel. De surcroît, une société de participation composée des trois provinces possède 33% des actions de la Société le Nickel.
Par conséquent, -en droit et en théorie-, c’est aux collectivités locales de mettre en place une stratégie pour sauver la filière nickel, la rendre compétitive, et restaurer la viabilité des usines restant pour l’instant en activité. KNS est fermé, Prony Resources est en procédure de reprise, et Eramet, en proie à une chute dramatique de ses profits, cherche désormais un repreneur pour se séparer de la SLN.
Le président de la République avait décidé de sauver la filière nickel calédonienne. Cette volonté avait été traduite par le Pacte Nickel mis sur la table par Bercy, et négocié avec le gouvernement Mapou. Une majorité du Congrès a répudié cette proposition de l’État. C’est un dossier essentiel qui est entre les mains du gouvernement Ponga et du Congrès.
Il faudra, accessoirement, songer à assumer la compétence financière de la Calédonie en matière d’enseignement secondaire public et d’enseignement privé.
Depuis le transfert de cette matière au territoire, l’État doit faire un chèque de 50 milliards chaque année en raison de l’incapacité du budget local à répondre à ses obligations. Comment imaginer que cela va se poursuivre ad vitam æternam ?
Enfin, dès le mois de juin-juillet, le gouvernement devra lancer la préparation du projet de Budget 2026
Après, la clôture des comptes 2024, le gouvernement connaîtra le montant des éventuels reports pouvant être incorporés dans le budget 2025. Mais surtout, il aura une tendance générale des recettes fiscales du territoire, ainsi que les premiers résultats constatés au budget 2025. Ces indicateurs seront accompagnés des orientations relevées dans le domaine économique, et celui de l’emploi depuis le début de l’année. Ils seront en outre éclairés par les résultats bruts du recensement, et donc de la situation démographique réelle.
Il lui faudra, sur ces bases, imaginer un projet pour l’Exercice 2026, équilibré et sincère. Il bénéficiera du reliquat du prêt garanti par l’État auprès de l’AFD. Mais au total, il n’est pas douteux que réformes, restructurations et économies drastiques devront être réellement lancées, tant les besoins fondamentaux sont immenses. Un casse-tête politique dans la perspective d’élections …
L’ÉPINEUSE QUESTION DU RENOUVELLEMENT
DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET DU CONGRÈS
Manuel Valls s’avance beaucoup en annonçant la tenue des élections provinciales, et donc également du renouvellement du Congrès, avec le corps électoral gelé en 2007. Pour mémoire, d’ailleurs, ce corps électoral n’est pas celui de l’Accord de Nouméa approuvé par une consultation des votants calédoniens. Dans le Préambule, seul figure le corps électoral restreint. Il a été gelé unilatéralement par une majorité du Parlement réuni en congrès, selon la volonté de Jacques Chirac, alors président de la République.
Aujourd’hui, il n’existe aucune majorité politique à l’Assemblée Nationale. Au Sénat siège une majorité de droite et du centre. Quant au président de la République, on connaît ses convictions démocratiques.
Au sein du gouvernement actuel, dont la durée de vie n’est pas inscrite dans le marbre, qui peut parier sur un soutien inconditionnel à la nouvelle méthode Valls, et à sa proposition d’organiser des élections dans des conditions contraires aux principes fondamentaux de la Constitution, de ceux de l’Europe et des Nations Unies ? Pour mémoire, il est utile de se souvenir qu’en 2007, Bruno Retailleau, alors Sénateur UMP, avait été le seul à combattre le texte gouvernemental instaurant le gel du corps électoral, face à François Baroin, alors ministre des Outremer, qui le présentait au Sénat. Bruno Retailleau avait qualifié la mesure de « déni de démocratie ». Il est à présent, ministre de l’Intérieur, et donc directement concerné par le décret de convocation des électeurs pour les élections locales.
De ce point de vue, il est utile de rappeler l’avis du Conseil d’État délivré le 23 décembre 2023, en réponse à plusieurs questions du gouvernement. Voici ce qu’écrit la haute juridiction sur le corps électoral (des passages ont été mis en caractère gras par la rédaction).
(…) « Le Conseil d’Etat constate que les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du congrès dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. A défaut de modification des règles applicables, l’ampleur de ces dérogations ne pourrait en outre que s’accroître avec l’écoulement du temps.
« 11. Il rappelle que si la Cour européenne des droits de l’homme a admis en 2005 (CEDH, 11 janvier 2005, n° 66289/01, Py c./ France) le principe d’un corps électoral restreint, elle s’est alors prononcée sur un ensemble de règles qui, antérieures à la révision constitutionnelle mentionnée au point 5, permettaient aux personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans d’être inscrites sur la liste électorale spéciale appelée à élire les membres des assemblés des provinces et du congrès et a considéré qu’il n’était pas porté atteinte à l’essence même du droit de vote tel que garanti par l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales après avoir caractérisé l’existence de nécessités locales résultant de l’histoire et du statut de la Nouvelle-Calédonie et l’inscription du statut de ce territoire dans une phase transitoire avant l’accession à la pleine souveraineté et dans un processus d’autodétermination. Si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé.
« 12. Ainsi qu’il a été dit au point 10, seule une révision de la Constitution permettrait en principe de modifier le régime électoral des assemblées de province et du congrès afin d’établir un cadre pleinement adapté aux évolutions démographiques mentionnées au point 8 et à leurs perspectives. Toutefois, eu égard à ces évolutions, plusieurs considérations peuvent conduire à estimer que les dispositions de l’article 77 de la Constitution, notamment de son dernier alinéa, cité au point 5, ne font pas obstacle à ce que le législateur organique puisse, le moment venu et si une révision constitutionnelle n’est pas venue régler plus tôt la difficulté, intervenir pour atténuer l’ampleur des dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, lesquelles auront, avec l’écoulement du temps, des effets excédant ce qui était nécessaire à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa.
Ces arguments ont été rappelés par les Loyalistes et le Rassemblement lors de leur conférence de presse de jeudi dernier. Ainsi, en ce qui concerne le processus électoral pour les élections provinciales, et dépit des affirmations de Manuel Valls, il y a encore loin de la coupe aux lèvres …