La France perd a perdu un grand homme d’Etat avec la disparition, à l’âge de 85 ans, de celui qui avait voulu inventer une nouvelle gauche et s’était en permanence heurté à François Mitterrand qui l’avait nommé premier ministre en 1988 puis « viré » en 91 selon les propres termes de Michel Rocard.
Michel Rocard jouit d’un grand respect et d’une forme d’affection en Nouvelle-Calédonie. Il a su en effet y construire une solution pour mettre un terme aux troubles de 84 à 88 dans la dignité –et dans la République- par les Accords dit de Matignon entre le FLNKS représenté par Jean-Marie Tjibaou, le RPCR représenté par Jacques Lafleur, et l’Etat qu’il représentait.
Fondateur du Parti Socialiste unifié en 1960, il prône le pragmatisme et le réformisme. Proche des syndicats mais opposé au totalitarisme et au Parti Communiste, il est favorable à l’autogestion et à la décentralisation de l’Etat. Anticolonialiste, il mettra en œuvre son pragmatisme et sa volonté de décentralisation pour trouver une solution acceptée par tous au drame néo-calédonien.
PREMIER MINISTRE « VIRÉ » PAR MITTERRAND
Député des Yvelines, maire de Conflans-Sainte-Honorine, il quitte le PSU et entre au Parti Socialiste en 1974 dont il sera Premier Secrétaire en 1993 et 94. Sous la présidence de François Mitterrand, il est en charge de plusieurs portefeuilles au gouvernement avant d’être nommé Premier ministre. Il créera le RMI et surtout la CSG dont il reconnaîtra qu’elle avait contrecarré sa carrière politique. En 1991, Edith Cresson le remplace à ce poste. « J’ai été viré par Mitterrand », dira-t-il.
Sénateur, député européen, Michel Rocard sera nommé par Nicolas Sarkozy « ambassadeur chargé de la négociation internationale des Pôles Arctique et Antarctique » en 2009.
C’est Le Point qui a récemment publié sa dernière grande interview dans laquelle il déclarait que la gauche française était à ses yeux « la plus rétrograde d’Europe ».
IL AVAIT CONSTRUIT « LES ACCORDS DE MATIGNON »
ET RECONSTRUIT LA PAIX EN NOUVELLE-CALEDONIE
En 1988, Jacques Chirac est battu par François Mitterrand aux élections présidentielles. La nomination de Michel Rocard au poste de Premier ministre s’impose au Président de la République qui ne lui porte pourtant aucune sympathie.
Entre les deux tours, le drame d’Ouvéa se produit, une tragédie dont les 21 morts, des gendarmes, des militaires du 11e choc et des militants indépendantistes, provoquent une immense émotion en métropole et dans le Pacifique.
Immédiatement, Rocard bâtit « la mission du dialogue » composée d’autorités morale, religieuse et maçonnique, ainsi que de hauts fonctionnaires connaissant la Nouvelle-Calédonie. Après de multiples contacts avec les « belligérants », la mission dépose un rapport et des pistes de solution.
Michel Rocard appelle à Paris Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou qui acceptent. Les protagonistes sont littéralement « enfermés » à Matignon et ne ressortent qu’avec les grandes lignes d’un accord mettant fin à « la guerre civile ». Celui-ci sera validé le 26 juin 1988.
En août de la même année, les délégations du RPCR , du FLNKS et l’Etat mettent au point un nouveau statut instaurant une architecture institutionnelle innovante et unique dans la République pour la Nouvelle-Calédonie. Ce sera les « Accords Oudinot », acceptant ce qu’il est convenu d’appeler « l’amnistie des crimes de sang ». Cet accord sera validé par un referendum en novembre de la même année.
L’INDEPENDANCE : UNE BIZARRERIE
Depuis, Michel Rocard n’a cessé de suivre la situation en Nouvelle-Calédonie. Souvent consulté, il était invité à chaque manifestation célébrant les « accords », et en octobre 2013, était intervenu de manière magistrale au colloque sur les Accords de Matignon..
Sa dernière interview publiée dans Les Nouvelles Calédoniennes sur le sujet était plutôt décoiffante. Dans un monde globalisé, caractérisé par le partage des souverainetés, il avait qualifié de « bizarrerie » la revendication d’indépendance en Calédonie. Il avait en outre émis le sentiment que la suite de l’accord actuel ne pouvait échapper à une nouvelle négociation, conclue par un nouvel accord.
Il avait récemment accepté de rencontrer le Sénateur Pierre Frogier pour échanger sur la sortie de l’Accord de Nouméa. Les deux hommes se connaissaient bien pour s’être côtoyés depuis les discussions ayant conduit au rétablissement de la paix sur le territoire.
Avec Michel Rocard disparaît le dernier « père » des accords fondateurs de la Calédonie actuelle.
