Il existe, en Nouvelle-Calédonie, une culture régionale française. Livres, théâtre, cinéma, poésie, cuisine ou traditions s’expriment évidemment en langue française. Mais ce français possède ses accents, ses tournures de phrases et son vocabulaire particulier. Un Parisien, un Marseillais ou un Réunionnais auront du mal à comprendre l’intégralité des aventures de “Tonton Marcel”. Un mot du lexique calédonien aujourd’hui, et plus qu’un mot, un mets : le crabe mou !
Chacun connaît évidemment le crabe de Calédonie, le meilleur du monde. Cela ne se discute même pas ! Mais le crabe classique possède une solide carapace, et ses pinces peuvent faire très mal. Pourtant, s’il est un succulent, ce n’est pas le graal du Calédonien. Aujourd’hui, nous allons évoquer le régal interdit, proscrit, qu’il ne faut déguster que par la littérature et l’imagination : le crabe mou.
Ce crabe de palétuvier est particulier. Lors de sa période de mue, il s’est débarrassé de sa carapace. Conséquence pour lui, il ne peut pratiquement plus se déplacer. Coincé dans son trou, il a donc dû se constituer des réserves et se trouve donc rempli de chair. Il est donc “totalement plein”. Un rêve ! … qui ne doit rester que littéraire.
Point n’est besoin d’être devin pour imaginer la salive qui pointe aux commissures des lèvres des amateurs : non seulement, le crabe est plein, mais de surcroît, on peut le déguster en quasi-totalité. Enfin, ça c’était avant, quand tout cela n’était pas interdit !
Aujourd’hui, afin d’assurer la protection de ce précieux animal, sa pêche est strictement interdite. Malheur à qui se fait prendre la main dans le sac par la maréchaussée : les peines sont d’un poids théoriquement dissuasif.
De là à imaginer que plus personne en Calédonie ne mange de crabe mou, il n’y a qu’un pas … que personne n’osera franchir. Car non seulement, correctement cuisiné, il paraît que le plat est délicieux, mais certains, dit-on tout bas, y trouveraient le plaisir de l’interdit.
Il arrive même que parfois, cet interdit est si prégnant que beaucoup de Calédoniens n’évoquent le sujet que sous le manteau. Ils vont, paraît-il, jusqu’à bannir l’évocation du crabe mou. Alors, dans ce cas, tendez l’oreille : vous les entendrez peut-être chuchoter des choses à propos des crabes … pas durs !