En 2025, on fait briller celles et ceux qui le méritent. Associations, entreprises, membres de la société civile, projets… Ils incarnent les valeurs qui nous rassemblent et nous inspirent au quotidien. Aujourd’hui, place à RECYF, une entreprise qui recycle les déchets de poisson en produits alimentaires pour animaux.
RECYF est une société spécialisée dans la valorisation des déchets de poissons issus des pêches professionnelles calédoniennes. « Nous récupérons ces déchets et nous les transformons en farine et huile de poisson », explique Charles André, fondateur et gérant de l’entreprise. Ces produits sont ensuite utilisés comme engrais naturels ou comme ingrédients dans l’alimentation animale : poissons, crevettes, porcs, volailles, et même en pharmacie.
Gaspillage, pollution
et pression économique
Cette récupération permet donc de donner une seconde vie à ce qui était auparavant considéré comme un déchet. « Avant, ce type de restes étaient enfouis au centre d’enfouissement de Gadji, à la charge des pêcheurs, souligne le chef d’entreprise. Pour donner un chiffre, cela représentait environ 18 millions à payer par an pour les deux principaux pêcheurs hauturiers du territoire ». Autrement dit, la situation était loin d’être idéale : les restes de poissons n’étaient pas valorisés, ce qui entraînait un vrai gaspillage de ressources. Ils étaient enfouis à Gadji, contribuant à l’émission de méthane – un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO?. Et pour couronner le tout, les pêcheurs devaient payer pour cette gestion. Résultat : gaspillage, pollution, et pression économique. Un constat désolant à tous les niveaux.
Un partenariat gagnant-gagnant
Charles André a alors imaginé un modèle simple et durable : récupérer gratuitement les déchets de poisson auprès des pêcheurs, et les transformer ensuite en produits commercialisables. « Quand j’ai commencé à leur parler du projet, les pêcheurs ont été tout de suite partants, raconte-t-il. Ils se débarrassent de leurs déchets sans frais, et moi j’obtiens ma matière première ». Ce système bénéficie à toutes les parties prenantes : les pêcheurs réduisent leurs coûts de gestion de déchets, RECYF dispose de sa matière première, les éleveurs et agriculteurs locaux accèdent à un produit de qualité à moindre coût, et au final, c’est l’économie locale dans son ensemble qui est bénéficiaire. RECYF s’inscrit pleinement dans une logique d’économie circulaire : considérer les déchets non plus comme une contrainte, mais comme une ressource à part entière.
Un processus bien huilé
Pour simplifier la récupération des déchets, l’entreprise a pu s’installer à Nouville, à quelques centaines de mètres des principaux pêcheurs hauturiers. Une fois récupérés, les déchets sont traités pour être transformés, comme l’explique Charles André : « On commence par broyer les déchets de poisson pour les rendre plus faciles à travailler. Ensuite, on les cuit à haute température, ce qui permet de détruire les éventuelles bactéries et préparer la séparation entre les éléments liquides et solides. Après la cuisson, on passe à une pression mécanique qui permet de séparer les deux phases, liquide et solide. La phase liquide passe ensuite dans une centrifugeuse, permettant d’extraire l’huile de poisson : cette huile sera purifiée pour être utilisée dans différents secteurs comme l’alimentation animale, l’aquaculture ou encore l’industrie pharmaceutique. De son côté, la phase solide est envoyée dans un sécheur pour lui enlever toute l’humidité. Enfin, la matière est concassée et moulue pour obtenir la granulométrie souhaitée : c’est cette poudre qu’on appelle farine de poisson, très utilisée dans l’alimentation des animaux d’élevage, notamment des poissons et des crevettes ».
Une alternative locale
à l’importation
Dernière étape, commercialiser l’huile et la farine de poisson. Pour cela, Charles André négocie directement avec les clients concernés, à savoir les éleveurs et agriculteurs. « En Nouvelle-Calédonie, il y a une forte demande en farine de poisson, notamment parce qu’il y a 20 à 25% de ce type de farine dans l’aliment pour les crevettes, explique-t-il. La farine de poisson est importée d’Amérique du Sud : là-bas, il ne s’agit pas de recyclage de déchets, mais de pêche massive pour ensuite transformer la ressource halieutique en farine de poisson. En plus des conséquences sur l’environnement, le prix de la farine est soumis aux fluctuations économiques mondiales, ce qui impacte directement les importateurs et donc le prix des produits. RECYF apporte une alternative écologique en proposant un produit de même qualité, voire meilleure, à un prix plus bas ».
Pour que le projet tienne la route, Charles André a d’abord travaillé en amont sur le bon dimensionnement de l’usine. Il fallait trouver le juste équilibre : pas une usine trop grande (et donc trop coûteuse), ni trop petite (et donc pas rentable). Ce travail a pris trois ans d’études et de calculs. « Les gros producteurs font des volumes énormes, des millions de tonnes. Moi, je vise une production de 300 à 400 tonnes de farine de poisson par an. Il fallait donc imaginer un modèle adapté à cette échelle », indique-t-il. Cela exige de trouver un foncier à prix raisonnable, de construire une usine à taille adaptée au marché, d’identifier les besoins réels du marché local, de cibler avec pertinence les bons clients, et surtout, de s’assurer de pouvoir obtenir la matière première, c’est-à-dire les déchets de poisson, dans les meilleures conditions. Un coup de pouce important lui a aussi permis de faire avancer le projet : la double défiscalisation, qui a facilité l’investissement.
Un développement régional ?
Aujourd’hui, RECYF fait travailler trois salariés, et l’entreprise a des perspectives de développement. « J’ai récemment participé à un séminaire à Tahiti sur la valorisation des déchets de poisson, explique Charles André. Pour le moment, ils rejettent leurs déchets dans la mer. Il y a une possibilité de développer un partenariat, ou de les aider dans le développement d’une usine similaire ». En transformant les déchets en ressources, RECYF prouve qu’un modèle plus vertueux est possible. Une fierté calédonienne à suivre de près.
Kim Jandot