Il existe, en Nouvelle-Calédonie, une culture régionale française. Livres, théâtre, cinéma, poésie, cuisine ou traditions s’expriment évidemment en langue française. Mais ce français possède ses accents, ses tournures de phrases et son vocabulaire particulier. Un Parisien, un Marseillais ou un Réunionnais auront du mal à comprendre l’intégralité des aventures de « Tonton Marcel ». Un mot du lexique calédonien aujourd’hui : la caillasse !
Dans le Petit Robert, comme dans le Larousse ou sur Internet, caillasse signifie caillou, pierraille. S’agissant des routes, l’expression généralement utilisée en français standard est « la route caillouteuse ». Tout cela n’est pas trop différent du français calédonien, sauf qu’ici, la « caillasse » prend une véritable dimension sociétale !
Tout remonte, comme partout ailleurs, d’ailleurs, à cette époque où les voies de circulation n’étaient pas revêtues. Certes, les Romains les empierraient. Les Incas faisaient de même. Ce ne fut pas le cas de la Nouvelle-Calédonie d’antan, où les routes, parcourues par les chevaux et les voitures à cheval, étaient des chemins de terre aménagés.
Au fil des ans, ces routes en terre ont été consolidées par une couverture en caillasse, ce matériau devenant facilement disponible. Par extension, et même en l’absence de revêtement de caillasse, les voies de circulation non goudronnées sont ainsi devenues « la caillasse ». Rouler sur une route en terre, c’est rouler dans la caillasse.
L’après-guerre, celui de la seconde guerre mondiale, a vu une partie de cette route en caillasse recouverte de goudron de houille par l’armée américaine. C’est alors qu’est apparu le terme de « coal tar », aujourd’hui pratiquement disparu dans l’agglomération, mais encore présent chez les plus anciens Calédoniens.
On disait alors qu’une route était « coltarée », c’est-à-dire revêtue, par opposition à la route en terre, ou la route en caillasse. Il faut simplement savoir que jusqu’à la fin des années 60, la route territoriale n’était coltarée que jusqu’à Moindou. Au-delà, il fallait « se taper la caillasse dans le col de Boghen ».
La caillasse, c’est aussi deux épopées : celle du Tour de Calédonie, et celle du Safari calédonien.
Il faut d’abord imaginer le Tour de Calédonie cycliste, et les coureurs sur leur vélo équipé de boyaux. Après la route coltarée, ils affrontaient la poussière et la caillasse. Dans l’histoire épique du Tour, « l’enfer du Nord » n’était pas les pavés du Paris-Roubaix, mais bel et bien, entre Hienghène et Koumac, la poussière, et surtout la caillasse. Caillasse, synonyme de multiples crevaisons pour les héros de la petite reine. Des drames quotidiens, en forme de loterie. Malheur à ceux qui crevaient, que leur voiture suiveuse avait du mal à distinguer dans les épais nuages de poussière, et qui devaient ensuite tenter de rattraper le peloton dans une atmosphère … d’enfer.
Certains se souviennent encore du vol du vélo décrit alors comme un « spécial caillasse » de Blanc-Blanc Lecourieux lors d’une étape de la grande boucle calédonienne. Un vélo spécial caillasse, ça s’invente, surtout pour un champion !
Le mot a enfin donné une expression bien locale : « A fond Loulou dans la caillasse ». Dans les mille et un mots calédoniens publié dans les années 60, l’origine décrite est la suivante : « un cycliste calédonien, Loulou Bonnard dit Loulette était bien connu pour ses talents de descendeur de cols dans la caillasse. On disait qu’il descendait à fond Loulou, dans la caillasse ».
Cette expression signifie « à toute pompe, à toute berzingue, ou plus prosaïquement, à toute vitesse ».
Quant au Safari Calédonien, grand safari automobile international des années 70, les pilotes et leurs navigateurs se régalaient des difficultés et des dérapages dans la caillasse. Les équipages les plus prestigieux, de Jean-Pierre Beltoise à Jean Todt, en passant par des journalistes comme Stéphane Collaro ont conservé un souvenir inoubliable des routes en caillasse calédoniennes.
Pour être complet, il faut aussi évoquer le langage familier et le verbe caillasser, largement usité par les Calédoniens. Enfin, ceux qui parlent le français calédonien du cru ! Caillasser peut vouloir dire asséner un coup, voire brutaliser. On peut enfin l’utiliser avec une signification bien plus triviale, à connotation de rapports intimes, que nouméaPost ne vous donnera pas, autant par respect que par pudeur !