L’humanité des machines, c’est le titre du nouveau roman de Thierry Charton, un auteur calédonien déjà bien connu des amateurs de lecture.
L’ouvrage s’ouvre sur une courte déclaration émise lors du procès Krupp. Ce procès, qui s’est tenu en 1947-1948 à Nuremberg, faisait partie des procès post-Seconde Guerre mondiale contre les criminels de guerre nazis. Il visait les dirigeants de la société allemande Krupp, l’un des principaux fournisseurs d’armements du régime nazi.
Dans ce livre, on suit l’aventure d’un médecin. Le récit est à la première personne, ce qui plonge immédiatement le lecteur dans une certaine intimité. L’homme évoque des souvenirs avec son père, son rapport à la solitude et son inclinaison pour tout ce qui touche au mystique. Dès les premières pages du livre, on perçoit une certaine complexité. L’humain que nous apprenons à connaître semble complexe, l’histoire qu’il raconte l’est tout autant, quant à la forme, c’est-à-dire les phrases utilisées pour raconter cette histoire, elle l’est également. C’est un exercice d’attention, de compréhension. Le genre de livre qu’il faut déguster pour en comprendre les subtilités.
p.14 « Mon enfance fut agitée par cette croyance inouïe qu’êtres vivants et choses inertes entretiennent des liens magiques qui échappent à l’observation minutieuse de notre conscience ordinaire »
Le médecin parle ensuite de cette rencontre, bouleversante, qui est à la base de l’histoire qu’il conte. Johann, un être dépeint comme « diabolique », « intelligent », pour lequel il ressent une attirance « au-delà de la raison ». Difficile de comprendre leurs liens. Sont-ils membres de la même famille ? Amants ? Amis ? La suite le dira. Très vite, les rideaux s’ouvrent et on découvre le décor : un abattoir. Les actions s’enchaînent et on plonge enfin dans les viscères d’un esprit en réflexion. Au fil des pages, on apprend à découvrir Johann en même temps que l’on s’immisce dans sa pensée, ses idées, son Idée.
p.52 « En définitive, nous louons le progrès comme s’il s’agissait enfin de sortir par la grande porte de la Nature, alors que c’est toujours et de façon organique la Nature qui nous traverse, nous assomme et nous attise, distille en nous par d’infimes réseaux d’information du corps et de l’esprit la vie, celle pour laquelle nous inventons des dieux, nous enivrant de promesses, aimant à penser que nous aimons pour aimer, dans cette région qu’on appelle humanité, si proche des bêtes puisqu’elle fonctionne par meutes, se perpétue par l’esprit de meute, n’acquiert son statut que par l’établissement d’une forme particulière de meute sur laquelle nous nous fixons comme des poux ».
Dans le récit de cette histoire, tout devient un jeu de complexité. Quelque chose de simple à l’origine, comme se rejoindre pour une partie de pêche, devient une énigme. Notre médecin plonge dans la réflexion ouverte par Johann, les contours deviennent flous. Le récit se poursuit, puis le voile se lève sur le contexte dans lequel il évolue.
p.82 « Je répondrai que la culture […] n’empêchera jamais la folie car elle y contribue de façon intrinsèque ».
Dans l’humanité des machines, Thierry Charton joue avec notre propre doute. On se questionne à chaque page, élaborant certaines théories, puis en écartant d’autres. Un jeu de piste dans la conscience de deux hommes, un voyage dans leurs réflexions et leurs influences respectives. Ce livre est à ouvrir avec humilité, en acceptant de ne pas tout comprendre : ce n’est pas parce qu’on sent les choses que les liens se font. Rares sont ceux qui tourneront la dernière page en ayant la certitude de l’avoir lu à la bonne hauteur. Il y a l’histoire, ce qui est dit, et surtout, ce qui n’est pas dit.
« D’ailleurs, rares sont les hommes qui ont de leurs actes la représentation claire et distincte des mobiles qui les gouvernent »
L’humanité des machines de Thierry Charton est à retrouver chez Calédolivres au coût de 2200frs : https://caledolivres.nc/fr/romans/12575-lhumanite-des-machines-9782378279608.html |