Il existe, en Nouvelle-Calédonie, une culture régionale française. Livres, théâtre, cinéma, poésie, cuisine ou traditions s’expriment évidemment en langue française. Mais ce français possède ses accents, ses tournures de phrases et son vocabulaire particulier. Un Parisien, un Marseillais ou un Réunionnais auront du mal à comprendre l’intégralité des aventures de « Tonton Marcel ». Un mot du lexique calédonien aujourd’hui : le gadin !
Le mot « gadin » existe dans le français standard. Et, le saviez-vous ? C’est une petite sphère fixée à l’extrémité d’un flotteur utilisé pour la pêche à la ligne.
Mais aussi, et ce n’est pas une découverte pour vous, ramasser ou prendre un gadin signifie dans le langage commun familier le fait de tomber par terre, de se casser la figure. Il a alors pour synonyme « gamelle » ou « pelle ». Il s’agit d’une expression populaire, et qui peut aussi être utilisé comme synonyme d’échec. « Aux dernières élections, il s’est pris un gros gadin ».
En Nouvelle-Calédonie, il en va autrement.
Certes, ici aussi, si on se casse la figure, ou si on « se plante » à une élection, on peut dire qu’on s’est pris un gadin. Mais si vous entendez dans une conversation qu’un chasseur s’est fait un gadin à la 270, cela ne veut surtout pas dire qu’il a fort malencontreusement été victime d’une chute au kilomètre 270 !
Avant toute chose, pour un élève en lexique calédonien, il faut d’abord connaître ce qu’est le cerf (prononcer cerfe !) de Nouvelle-Calédonie.
« Un cadeau à Madame Guillain »
Le cerf que nous connaissons localement est dû à une délicate attention manifestée par le gouverneur de Java, alors colonie des « Indes néerlandaises », à l’épouse du gouverneur Guillain en 1870. Ce dernier, sur le départ, était lui gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, fervent saint-simoniste. Le couple ne pouvait imaginer les conséquences de ce cadeau, qui nourrit notre propos !
Parce que si l’on se réfère, par exemple, au rapport de stage M1 de Wilfried Weiss « Suivi de l’impact du Cerf rusa en fore?t tropicale » (Conservatoire d’espaces naturels NC), « Le Cerf rusa est une espe?ce polygyne. Par de?finition, un ma?le peut, au court d’une saison de rut, fe?conder plusieurs femelles. En principe cette pe?riode s’e?tend de juillet a? octobre, avec une possibilite? de reproduction toute l’anne?e, particulie?rement en situation de surpopulation, du fait du retard de croissance des bichettes (comm. pers., Barrie?re). La pe?riode de gestation dure en moyenne 8 mois et un pic de naissances apparait de mi-avril a? mi-juin (Bianchi, 1999). En Cale?donie, le sex-ratio est localement de?se?quilibre? en faveur des femelles, favorisant l’accroissement de la population ». Si l’on ajoute à cela que « c’est un herbivore mixte opportuniste qui consomme des plantes natives et introduites », on comprend le fait qu’il est aujourd’hui une espèce envahissante, et à quel point sa chasse, et sa consommation, sont salutaires pour la préservation de nos précieuses plantes !
« Péter un gadin à 450 mètres »
Et c’est à ce point précis que je voulais vous emmener : en Nouvelle-Calédonie, le gadin, c’est un « cerf », un bon cerf rusa mâle ou femelle, adulte, qui peut courir et bondir vite sur ses 4 pattes.
En français calédonien très familier, on dira « j’ai pété un gadin à 450 mètres, il sortait d’une grosse touffe de gaiacs ». Traduction : « Avec mon fusil, j’ai tiré sur un cerf qui sortait d’un gros bosquet composé de gaiacs et qui se trouvait à 450 mètres ». Quant à la 270, ne cherchez pas la borne kilométrique 270 ! Il s’agit du calibre d’un fusil de chasse très prisé localement.
Et si le chasseur n’indique pas la suite, c’est qu’il a mortellement touché le gibier. La suite, c’est le dépouillage, mais c’est aussi une autre histoire.
« Une viande pratiquement
sans cholestérol »
Il faut également savoir que la viande de gadin est riche en protéines et en fer. Elle présente un immense avantage diététique, qui fait de la viande de cerf un met exceptionnel : le cholestérol et les graisses en sont quasiment absents ! Quant à sa cuisson, attention, c’est une viande qui ne réduit pas.
Plusieurs préparations, inspirées de la gastronomie française, sont fréquemment cuisinées, comme la marinade de cerf ou le petit salé. On trouve même au menu d’un restaurant bien connu de Brousse, la marinade de cerf cornes molles. Mais surtout, le cerf calédonien a donné naissance à un plat typique du pays : la salade de cerf, plat qu’on ne trouve évidemment qu’en Nouvelle-Calédonie, et qui fait partie de la grande diversité de la cuisine calédonienne.